Les méridiens d'acupuncture et plus largement la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), sont souvent considérés péjorativement comme ésotériques par nos sociétés occidentales. Pourtant, des recherches récentes mettent en lumière l'existence de pratiques de dissection en Chine bien avant notre ère. Ces pratiques, basées sur l'observation du corps physique donc, ont contribué à l'élaboration d'atlas anatomiques reconnus aujourd'hui comme les plus anciens découverts, mais ont aussi participé ultérieurement à la fondation des textes d'acupuncture. Ésotérisme donc ou simple biais linguistique ?

Dans cet article, je vous propose un bref rappel du niveau de compréhension de l'anatomie humaine qu'avaient les théoriciens de la médecine chinoise, ainsi qu'une analyse du possible biais linguistique qui brouille notre vision de la MTC (et plus généralement notre vision des idées ou concepts non occidentaux) et dont il est possible de se débarrasser en portant les lunettes de la curiosité épistémique.
La MTC et l'observation du corps humain
La MTC s'est construite il y a plusieurs millénaires sur une très longue période (environ 3 000 ans), jalonnée entre autres par des courants spirituels variés (chamanisme, animisme puis confucianisme, taoïsme) et dont les fondements théoriques bien établis entre le Ve siècle av. J.-C. et le IIe siècle ap. J.-C. se sont ensuite enrichis.
L'idée eurocentrique en médecine, que les préceptes issus de la MTC ne sont pas fondés sur l'observation concrète du corps humain (c'est-à-dire via la dissection) est très largement répandue. Il faut savoir que les connaissances des découvertes scientifiques établies sur cette période sont souvent limitées par la perte de nombreux textes anciens. Cependant, ce qui s'avère être le plus ancien atlas anatomique du monde jamais découvert a été retrouvé dans le site funéraire de Mawangdui à Changsha, en Chine, où il a été enfoui en 168 av. J.-C. [1]
De plus, des traces parmi les plus anciennes en anatomie humaine sont contenues dans le fameux Classique de l'Empereur Jaune (le Huangdi Nei Jing (黄帝内经)). Celles-ci reposeraient très probablement sur des dissections. [2]
Ces textes médicaux décrivant clairement le corps physique sont à la fois antérieurs et source d'inspiration pour les textes d'acupuncture ultérieurs qui ont servi de fondement à la pratique de l'acupuncture au cours des 2 millénaires suivants.
Ces découvertes offrent de nouvelles perspectives sur les méridiens d'acupuncture d'autant plus qu'elles s'ajoutent aux récentes et révolutionnaires découvertes sur les fascias qui ouvrent de nouvelles possibilités d'explication sur les méridiens d'acupuncture avec lesquels ils partagent d'étonnantes similarités.
Je ne manquerai pas de développer ce sujet dans de prochains articles…
Ethnocentrisme ou biais linguistique
Lorsqu'une idée, des concepts sont importés sur un nouveau territoire, ils emportent avec eux une période temporelle et un récit culturel différents et donc un système linguistique différent.
Il est important de prendre conscience de cela, car le paradigme étant radicalement autre, les mots littéralement retranscrits ne trouvent pas forcément leur équivalent dans notre langage ou alors, ils ne trouveront jamais à nos yeux le même sens qu'ils portent aux yeux de leurs concepteurs. De ces mots naissent des idées qui nous laissent souvent vaguement indifférents (ou parfois fascinés sans réelle compréhension personnelle) mais que nous partageons pourtant exprimés autrement.
Prendre du recul est donc primordial si nous ne voulons pas risquer de tomber dans la récitation sans conviction propre ou dans la condescendance ethnocentrique.
Pour éclairer mon propos, voici deux exemples de concepts pouvant être sujets à ce biais :
Le flux du temps et l'impermanence
L'Occident utilise des métaphores physiques ou mathématiques (flèche du temps, entropie) tandis que l'Extrême-Orient (taoïsme) recourt à un langage poétique et symbolique ("le Tao est le flux éternel de la réalité, toujours changeant", eau qui coule, yin et yang) donnant l'impression de mysticisme alors que la logique d'observation est semblable : le monde change continuellement.
L'interdépendance (systémique/écologique/spirituelle)
L'Occident parle de rétroaction, d'équilibre systémique pour exprimer l'idée que les éléments d'un système sont interconnectés.
L'Orient (bouddhisme, hindouisme) va parler de karma, de vacuité, d'illusion du soi autonome, ce qui peut paraître mystique pour un esprit cartésien alors qu'au fond, l'observation part de la même base : rien n'existe isolément.
Des observations universelles de l'expérience humaine qui s'expriment dans des langages culturels ou symboliques différents apparaissent ésotériques vues d'un autre système de pensée. Faisons donc preuve d'esprit critique et de curiosité ! (ou pour parler plus ésotérique, ouvrons notre Chakra du 3e œil !)
Sachant que le corps est de nature électrochimique, parler d'énergie (Qi) est-il si irrationnel ?
Les liquides et les esprits (Shen, Zhi, Hun, Yi, Po) ne pourraient ils pas s'apparenter respectivement aux liquides corporels et aux messages efférents et afférents de notre système nerveux (ainsi qu'à notre génétique et notre récit épigénétique) ?
Sachant que nos fascias relient entre eux chaque organe, chaque viscère, chaque fibre musculaire et chaque cellule de notre corps, est-ce mystique de considérer notre corps comme une Unicité ? (notons le U majuscule pour la touche ésotérique)
Ces questions feront l'objet d'un prochain article dans lequel nous aborderons le sujet des méridiens et des fascias…
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Références
1 - Shaw V, Diogo R, Winder IC. Hiding in Plain Sight-ancient Chinese anatomy. Anat Rec. 2020;1–14
2 - Fu L. Medical missionaries to China and the reformation of anatomy. J Med Biogr. 2016 May;24
Auteur Lydie Jorda
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Passionnant, j'attends la suite